Ko Tarutao (2)

Publié le par Benoît Geffroy

Voilà, la nuit est tombée. J'avais beau avoir prévu le coup, se retrouver sans lumière à huit heures du soir c'est pas le pied. J'ai bien une petite lampe, mais je renonce vite à l'utiliser pour lire. A force de me rouler dans le sable, je finis par me creuser un lit à peu près adapté à la forme de mes lombaires. J'avais déjà dormi à la belle étoile, mais à chaque fois j'avais mon duvet et au moins une bâche en dessous. Tant pis, moi qui voulais de l'aventure, je n'ai plus qu'à assumer. Je me résigne donc à attendre le sommeil et l'aube.

Les vrais ennuis commencent quelques minutes plus tard. Ce que je prenais au début pour des démangeaisons dues au sable se transforme vite en douleurs qui m'épinglent les jambes. J'allume la lampe : des espèces de moucherons ont trouvé le chemin jusqu'à mon épiderme... et leurs piqûres deviennent très vite insupportables. Autant pour le bracelet anti-moustique que je porte depuis le matin.

Il fait complètement nuit, je suis absolument seul. Mon moral chute rapidement. Finalement, ça n'est pas si marrant que ça de faire le robinson. J'essaye tout de même de réfléchir. Je me suis allongé près des arbres, pour échapper à une éventuelle marée montante. Peut-être que si je m'éloignais de la forêt les insectes perdraient ma trace? Oui mais plus bas le sable est mouillé. Je me rappelle qu'au niveau des bungalows, au nord, la plage était plus large. En plus l'espace occupé par les bâtiments devrait faire tampon avec la forêt maléfique. Plus que d'échapper aux insectes, c'est la perspective d'être actif qui me décide. Mieux vaut marcher que rester allongé à subir. Je rassemble donc mes affaires dans le noir, et repars vers le nord. Heureusement que j'ai une lampe, car un champ de rochers encombre l'extrémité de la plage.

J'atteins finalement mon objectif, et m'installe cette fois en bas de la plage. Je m'allonge et attends avec anxiété le retour de mes tortionnaires chitineux. Mais non, ma peau ne détecte aucune nouvelle piqûre. Je dérive dans un sommeil léger... jusqu'à un réveil en sursaut. La mer est à moins de deux mètres de mes pieds. J'avais pourtant fait attention à m'installer loin de la ligne d'eau! Il va falloir que je me réendorme, tout est à refaire. Je remonte malgré tout mon paquetage d'une vingtaine de mètres, ce qui me ramène dangeureusement près des arbres. J'ai à peine le temps de m'allonger qu'il commence à pleuvoir.

Là, ça devient vraiment dur. En plus je me trompe dans les dates. Alors que nous sommes le 25 décembre, je m'imagine qu'il s'agit du 24 et que toute ma famille va bientôt commencer le repas de Noël. J'ai un gros coup de blues. Qu'est-ce que je fais sur cette plage moisie, où pluie et moucherons assoiffés de sang se liguent contre moi? Je me sens terriblement seul. Décidément, vivre dans la nature n'est pas si marrant que ça. Soudain, une lumière danse au loin sur le sentier. D'autres hommes! Voilà une occasion inespérée de ne pas finir la nuit seul dans mon trou. Mais malgré mes appels ils ne s'arrêtent pas. Je pense un moment leur emboîter le pas, mais ça ne serait pas raisonnable. Si ma lampe me lâche dans la forêt, je n'aurai que les moustiques et la terre battue du sentier pour me tenir compagnie jusqu'à l'aube. Je me résigne à endurer seul cette nuit. Finalement, je trouve refuge dans un des bungalows abandonnés. Une vieille paillasse pleine de sable me permet de trouver un semblant de sommeil.


Cette nuit a été vraiment pénible, mais a aussi été une expérience forte. Au moins maintenant je sais ce que c'est qu'être complètement seul. Et je sais aussi que je n'aime pas ça. 

Vers cinq heures du matin un rayon de lumière se faufile dans l'embrasure de la porte. Je sors et j'oublie instantanément tous les désagréments de la nuit.




L'air a la fraîcheur et la pureté des premiers instants du matin. La nuit que j'ai passée me semble tout à coup un bien faible prix à payer pour jouir de ce spectacle. Le ciel et la mer sont d'un bleu intense, tout ce que je vois me semble absolument neuf. Ce matin-là, c'est le premier matin du monde.

J'en profite pour faire ma toilette dans la mer, et manger quelques oreos. Je m'attarde pour lire un peu, puis repars. Ne comptant pas repasser une nuit dans le bungalow abandonné, il me faut revenir sur mes pas. Mais j'ai encore toute la journée devant moi. Je décide donc d'explorer l'extrémité sud de la plage avant de rebrousser chemin. Le soleil est déjà haut dans le ciel quand je me mets en route.



La plage est décidément très longue, il me faut bien plus d'une demi-heure pour la parcourir. Au bout se trouve une lagune, dont les eaux s'enfoncent paresseusement dans les terres.



Bien que je ne sois qu'au milieu de l'île, il m'est impossible de progresser plus au sud. Je décide donc de revenir par l'intérieur des terres.


Le paysage est très curieux. Passé le rideau d'arbres bordant la plage, le sol reste sablonneux. Seules y poussent les touffes d'herbe que vous voyez au premier plan, ainsi que quelques bosquets. Malgré l'absence apparente d'eau douce, la végétation ne semble pas sèche. Plus j'avance vers les montagnes, et plus les taillis se font denses, ralentissant ma progression. Avisant un arbre escaladable, je prends de la hauteur. Les montagnes sont encore loin... J'ai tellement envie d'aller voir ce qui s'y cache. Mais je sais aussi que je n'ai pas assez d'eau pour une telle escalade. Les monts de Ko Tarutao garderont donc leurs mystères.


Au nord, le terrain devient marécageux, je retourne donc sur la plage. Malgré le soleil, j'enlève mes chaussures pour marcher dans les vagues, une sensation toujours aussi agréable quel que soit l'endroit.

Dernière photo avant de quitter ma plage et d'entamer la marche du retour.


Puis c'est le champ de rochers...


... et les bungalows abandonnés. La marée est haute et le pont est submergé. Pour parer à cette éventualité, il existe plus haut un pont de singe. Vous pouvez discerner au fond ses deux cordes. Plus que le besoin de repos, c'est l'envie de tester le pont de singe qui me fait le traverser. Les cordes sont mal tendues, et je me retrouve à un moment plus proche de l'horizontale que de la verticale. J'atteins tout de même l'autre rive sans me mouiller. Une petite pause lecture, et je repars. Cette fois j'utilise le pont.


Sur le chemin du retour, je fais rapidement plusieurs rencontres avec la faune de l'île.

(indice : un lézard se cache sur cette photo)



A la sortie d'un tournant, j'aperçois au loin un troupeau de cochons sauvages. Je dis cochon, mais ils étaient couverts de poils noirs. Ils étaient cependant trop petits pour être appelés sangliers. Quoi qu'il en soit, voilà qui explique les empreintes vues sur la plage la veille. Ils s'égayent en grognant dès qu'ils me voient, si bien que je n'ai pas le temps de les prendre en photo. Apercevoir des animaux en liberté qu'on ne trouve d'habitude qu'au zoo m'aura en tout cas bien fait plaisir.

Un peu loin, un sentier que j'avais loupé à l'aller s'enfonce vers l'intérieur. Un panneau usé par les éléments indique simplement "waterfall, 3km". J'ai du temps devant moi, je décide d'aller voir.


Au bout de dix minutes, le sentier disparaît dans le ruisseau. Je continue à remonter le cours d'eau, tantôt en longeant la rive, tantôt sur les rochers qui encombrent le lit de la rivière. Marcher au fil de l'eau me change agréablement des sentiers de terre.


Cette fois, j'ai l'occasion d'observer la flore. Je n'ai cependant pas poussé l'étude jusqu'à goûter ces champignons.


Ici, un arbre avec de curieuses racines plates.


Ici, des épines que j'aurais préférées toucher avec les yeux plutôt qu'avec les mains.


Un peu plus loin, je tombe sur une fourche. Ne voyant pas de signe, je choisis la branche qui me semble se rapprocher le plus des montagnes. Cependant au bout de vingt minutes, je n'entends toujours aucune cascade. Je commence à fatiguer, je dérape de plus en plus souvent sur les pierres. Je décide de rentrer, si je me foule une cheville ici je risque d'avoir à supporter les moustiques plus longtemps qu'une nuit.

Sur le chemin je suis rattrapé par trois autres touristes, un Autrichien, son épouse phillipine et une Américaine enseignant en Thaïlande. Ils dorment aux villages de bungalows au niveau de la petite plage la plus au nord. Ils se contentent de tentes, mais je décide de louer un bungalow pour la nuit. Après ma paillasse sablonneuse, la petite masure me semble digne d'un quatre étoiles. Quelques moustiques réussiront cependant à passer outre la moustiquaire...


J'ai eu ma dose d'expérience solitaire. Qu'il y ait d'autres humains à moins d'un kilomètre de moi ne m'empêche donc pas de profiter de la magie du crépuscule.


Je ne peux insister assez sur le plaisir et le soulagement que j'ai éprouvés à retrouver d'autres humains ainsi qu'un vrai lit! Je sais maintenant que je suis définitivement grégaire :-)

Le lendemain, je pars d'un bon pas prendre le bateau de onze heures. Le moment du matin où j'entame le chemin est toujours aussi exaltant!


Voilà Ko Tarutao c'est fini. Ce récit est sans doute assez ennuyeux. Si j'ai pris soin de raconter la succession de mes états d'esprit, c'est parce ce voyage aura été une expérience très forte. Bien que mes idéaux d'aventure puissent sembler naïfs, j'ai vécu ce que je voulais vivre. Socrate serait content : maintenant je me connais un peu mieux.


Je ne résiste pas à la tentation de finir sur une touche d'absurde. Il s'agit d'une vidéo projetée dans le bus du retour. L'occasion pour vous d'entendre un peu de thaï! Spéciale dédicace au mec avec le pseudo-turban et le fut en cuir .

http://fr.youtube.com/watch?v=W0gwkynb9yw

 

 

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D
NICE ! <br /> Très très jolie aventure...
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B
Toi je savais que ça te plairait :)
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J
énooooooooooooooorme!!!!!!!!!!<br /> je kifferai faire un truc comme ça. Je sais pas si j'en aurai les cou*** mais en tout cas je dis chapeau l'artiste!!!
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