La montagne est haute et l'empereur est loin : introduction au Guangdong

Publié le par Benoît Geffroy

Cette phrase est la traduction d'une maxime chinoise exprimant ce qu'on pourrait appeler "le paradoxe chinois" - ou au moins "un" paradoxe chinois. Pour dire les choses de manières douces, l'Etat chinois a une longue tradition autoritaire et centralisatrice. Il a toujours cherché à imposer son ordre jusque dans les marches les plus reculées de l'empire. Malgré tout, l'immensité du territoire a permis aux communautés locales de conserver une certaine autonomie. Ce proverbe signifie donc que malgré ses velléités dirigistes, la cour n'a pas toujours le bras assez long pour imposer sa loi sur l'ensemble du territoire. Ne prenez toutefois pas ces mots au pied de la lettre : il ne s'agit pas tant d'échapper à la loi que d'instaurer un équilibre tacite entre les directives nationales et les réalités locales.

Ces considérations sont particulièrement vraies en ce qui concerne le Guangdong. Le Guangdong est la province dans laquelle se trouve Guangzhou, plus connue à l'Ouest sous le nom de Canton. Pour ne pas trop vous dépayser, j'appellerai par la suite la province "cantonais". De par son statue de Région Administrative Spéciale, Hong Kong n'appartient pas au cantonais. Elle se situe néanmoins sur ses côtes. Le nom de Shenzhen est peut-être familier à certains d'entre vous ; cette ville se situe aussi dans le cantonais. Elle est d'ailleurs collée au territoire hong-kongais.

Bien que d'un point de vue administratif Hong Kong n'appartienne pas au cantonais, elle en est en fait très proche, et ce pour des raisons culturelles. Pour oser une rapprochement hasardeux, on pourrait comparer le cantonais à la Bretagne. Les deux régions possèdent chacune une culture propre, à commencer par la langue et la cuisine. Elles ont enduré une phase de "colonisation" par la "métropole", qui leur a imposé sa langue et son identité nationale. J'arrête ici les frais en même temps que les déclarations discutables, mais l'idée est là.

Au premier rang des particularités de la province se trouve la langue. Je zappe la conférence sur les grandes familles de dialecte chinois, retenez juste que la langue cantonaise est plus éloignée du mandarin, la lingua franca imposée par les communistes, que le français ne l'est de l'espagnol. Parmi les autres différences, on peut noter la cuisine (mais chaque province chinoise a ses spécialités) ou l'architecture (je parle de l'architecture traditionnelle : à Canton comme dans les autres villes chinoises l'immeuble a gagné par K.O.).
La dichotomie qui sépare traditionellement le Nord et le Sud de la Chine joue aussi à plein. Ce sont les clans guerriers du Nord, habitués à un environnement rude, proches des nomades de la steppe mongole, qui ont fait l'unité de la Chine. Les peuples de Chine du Sud, commerçants dans l'âme, à la culture plus raffinée, admettent mal la tutelle du gouvernement central. Ce n'est pas un hasard si toutes les capitales dynastiques de la Chine se sont toujours trouvées dans la moitié nord du pays (à l'exception de celles des Song du Sud, chassés du Nord par les Jurchens puis par les Mongols).

Le cantonais étant la province cotière chinoise la plus méridionale, c'est naturellement là que les navigateurs européens débarquèrent au XVIème siècle. Ils furent accueillis par des commerçants plus qu'enclin au négoce, ce qui ne fit qu'accentuer l'ouverture au monde extérieur de la province. Au XIXème siècle, les Cantonais furent ainsi le fer de lance de l'immigration chinoise aux Etats-Unis. C'est aussi dans cette province qu'est né Sun Yat-Sen, l'homme qui abolit l'empire et proclama la république au début du siècle dernier. Autant de faits qui renforcent la réputation frondeuse de la région.

Retenez donc que le cantonais est une province à part en Chine, et ce par bien des aspects. Certains vont même jusqu'à affirmer qu'en cas de démocratisation de la Chine, un mouvement indépendantiste pourrait apparaître. Sans en arriver jusque là, il est indéniable que le Chinois cantonais n'est pas un Chinois comme les autres. Ces particularités ont été quelque peu nivellées par le régime central de Pékin. Les communistes ayant notamment imposer le mandarin à l'école, tous les Cantonais parlent aujourd'hui la langue commune. Ce qui ne les empêche pas de continuer à communiquer entre eux en cantonais.

C'est beaucoup moins vrai pour Hong Kong, qui n'est soumise aux oukases de Pékin que depuis dix ans : la majorité des adultes n'y parlent que difficilement le mandarin (à tel point que les Chinois du continent doivent parfois leur parler en anglais). Cependant il est difficile de tracer le contour de l'identité cantonaise des Hong Kongais, tant ceux-ci ont le regard tourné vers l'Occident. Mais je m'attaquerai aux spécificités d'Hong Kong dans un autre article.

D'ici là, retenez ces quelques paragraphes pour les prochains articles, car je vous emmène dans le Guangdong pour un week-end.

Publié dans Vivre à Hong-Kong

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
On m'informe à l'instant que le vrai dicton est "Le ciel est haut et l'empereur est loin", "tian gao huangdi yuan". Dans la pratique on dira que ça ne change pas grand chose à la portée philosophique de la chose.
Répondre